De l’efficacité institutionnelle à l’efficacité individuelle

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De l’efficacité institutionnelle à l’efficacité individuelle : le cas des dispositifs pédagogiques d’aide à la réussite dans l’enseignement supérieur.


 Sandoss Ben Abid-Zarrouk , Maître de conférences HDR
LISEC  / Université de Haute-Alsace
Faculté des Lettres, Langues et Sciences Humaines
Département des Sciences de l’Education
F-68093 Mulhouse Cedex


Résumé :
L’objet de cette contribution est d’amener à concevoir que dans l’estimation de l’efficacité d’un dispositif pédagogique deux regards complémentaires sont possibles et nécessaires : celui de l’usager et celui de l’institution. Dans l’enseignement supérieur français, les dispositifs pédagogiques sont souvent l’œuvre de l’institution universitaire ou des ministères de tutelles. Ces dispositifs ont pour but de répondre aux attentes de l’institution. On dira alors que le dispositif est efficace s’il répond aux desseins de son concepteur. On qualifiera alors cette efficacité d’institutionnelle. Cette « efficacité » ne considère que « l’effet » du dispositif sur l’atteinte des objectifs. L’efficacité individuelle, telle qu’elle est entendue ici correspond au fait qu’elle est mesurée de manière individuelle. L’hypothèse sous-jacente est qu’un même dispositif peut être efficace pour certains mais pas pour d’autres. Chaque étudiant en fonction de l’information dont il dispose sur un dispositif donné, des stratégies d’apprentissage qu’il a construites, de l’utilisation optimale du dispositif et des potentialités estimées (par l’étudiant) du dispositif atteindra ou non son ou ses objectifs. L’efficacité serait donc fonction de l’usager.

Mots clés : efficacité individuelle, dispositif pédagogique, enseignement supérieur, efficacité institutionnelle, réussite


“From Institutional effectiveness  of the devices teaching at the individual efficiency: the case of the devices help to success in higher education”


Abstract :
The purpose of this contribution is to propose two complementary estimating of the effectiveness of an educational device : that of the user and that of the institution. The purpose of this contribution is to propose two complementary estimating of the effectiveness of an educational device : that of the user and that of the institution. In French higher education, the  teaching devices are often created and proposed by the university  . They are designed to meet the goals of the institution.  consequence, the device is effective if it meets the intentions of the designer . this effectiveness is qualified as the institutional effectiveness . This "efficiency" consider just only the device"effect"   on the goals. The individual effectiveness of a device, as understood here is the fact that it is measured individually. The underlying assumption is that the same device can be effective for some but not for others. Each student based on the information he has on a device , on his learning strategies, on the optimal use of the device and the potential estimated ( by the student) of the device, can reached his  goals . This effectiveness is linked on the user.

KEYWORDS individual effectiveness,higher education, institutional effectiveness, teaching device, success.

Introduction


L’efficacité d’un dispositif, notamment dans l’enseignement supérieur, peut être estimée du point de vue de l’institution qui le  propose et dans ce cas on parle d’efficacité institutionnelle. La particularité de l’efficacité institutionnelle est de s’intéresser uniquement à l’effet d’un dispositif donné, conçu généralement par l’institution, sur des objectifs désignés par l’institution. Elle se caractérise ainsi par le fait qu’elle responsabilise le dispositif et non l’usager sur l’atteinte ou non de ces objectifs. Mais l’efficacité d’un dispositif peut être estimée du point de vue de l’usager et dans ce cas nous parlerons d’efficacité individuelle. La particularité de l’efficacité individuelle est d’être fonction de l’usager, elle dépend ainsi  en grande partie d’un certain nombre de facteurs extérieurs au dispositif lui-même et en lien avec l’usager. Il sera démontré comment le passage du dispositif objectif au dispositif subjectif a induit le passage de l’efficacité institutionnelle à l’efficacité individuelle. Nous verrons notamment, que dans le cas particulier des dispositifs d’aide à la réussite (ex. tutorat méthodologique) un certain nombre de facteurs, exogènes au dispositif mais en lien avec l’usager, peuvent affecter son efficacité.

1. Le  dispositif : du dispositif « objectif » au dispositif « subjectif »


Beuscart et Peerbaye (2006) rappellent que pour Foucault (1977), le dispositif est un « réseau » qu’il est possible de tracer entre les différents éléments d’un ensemble hétérogène mis en place pour remplir « une fonction stratégique dominante », souvent pour « répondre à une urgence ». Des auteurs comme Linard (2002 : 144) expliquent que c’est un moyen de médiation qui « organise un champ de relations fonctionnelles entre humains et outils, buts et moyens, intentions et actions ». Le dispositif serait donc une construction qui aurait pour finalité l’atteinte d’un objectif donné. En effet, Peeters et Charlier (1999), cités par Linard (2002), soulignent qu’avec la notion de dispositif on se trouve dans une logique de moyens au service d’une fin.

Berten (1999), cité par Linard (2002 : 145), souligne l’évolution de la notion de dispositif qui est passée « de dispositifs objectifs, impersonnels, extérieurs aux sujets, à des dispositifs subjectifs, conscients et volontaires ». L’usager peut ainsi dans certains cas (pour certains dispositifs) se libérer des contraintes imposées par les concepteurs du dispositif et proposer par son intervention une manière propre à l’atteinte de l’objectif. S’agissant des dispositifs pédagogiques  cette subjectivité est d’autant plus prégnante que l’activité pédagogique  est  liée à une co-construction entre l’apprenant et l’enseignant (Gangloff et al., 2010) et donc entre les concepteurs et les usagers du dispositif pédagogique. Cette subjectivité aurait tendance à s’accélérer d’autant plus que le dispositif pédagogique est construit autour des technologies de l’information et de la communication (Linard, 2002).

Dans le champ pédagogique, Charlier (2000) rappelle que « le terme de « dispositif » est souvent utilisé de façon banale pour désigner un ensemble de moyens organisés, définis et stables qui sont le cadre d’actions réitérables conduites pour répondre à un problème récurrent » (Paquelin, 2009 : 156). Perriault (1989), quant à lui, rappelle qu’un dispositif n’existe que par ce que ses usagers en font ; il explicite par là-même le rôle fondamental de l’usager en tant que moteur de l’atteinte de l’objectif du dispositif. Ces travaux rejoignent ceux de Linard (2002) qui fait le lien entre le rôle de l’usager et l’efficacité du dispositif. Poteaux (2007), si elle reconnait qu’un dispositif naît de l’institution et est investi par les intentions des concepteurs, souligne que son fonctionnement est pris en main par les usagers qui, en l’utilisant, se l’approprient. Cette appropriation  s’effectue  par l’usage de l’outil pensé et dessiné par des concepteurs dans une visée pédagogique d’efficacité de l’apprentissage  (ibid.). En outre, Poisson (1997)[1]  insiste sur le fait que : « Quel que soit le degré d’ouverture et de flexibilité, d’individualisation, de perfectionnement technologique du dispositif pédagogique celui-ci ne révélera son potentiel pour l’apprentissage qu’à partir du moment où l’apprenant y développera buts, projets et plans d’action sur la base de son intentionnalité personnelle. Quel que soit le degré de raffinement pédagogique et technique du dispositif, il n’y aura jamais d’apprentissage autodirigé sans expression de l’auto-direction de la personne » (cité par Paquelin, 2009 : 159).

Le dispositif à but « pédagogique » est donc aussi fonction de l’usager qui l’utilise dans le but d’atteindre un objectif dessiné par l’institution en sa faveur. En outre, un dispositif « pédagogique » est utilisé de manière différenciée selon les apprenants (Ben Abid-Zarrouk, 2012 ; Ben Abid-Zarrouk et Weisser, 2013). Chaque usager serait donc susceptible de rendre ou non un dispositif « efficace » c’est-à-dire de l’utiliser de manière à lui permettre d’atteindre ses objectifs. La particularité de ce type d’efficacité est qu’elle est fonction de l’action de l’usager sur ce dispositif. De l’efficacité institutionnelle d’un dispositif c’est-à-dire une efficacité « responsabilisant » uniquement le dispositif et les concepteurs, on est amené à passer à une efficacité individuelle « responsabilisant » majoritairement l’usager.

2. L’efficacité institutionnelle


Mesurer l’efficacité d’un dispositif est très peu aisé, ne serait-ce parce que tout le monde n’en donne pas la même définition. Eicher (1983) révélait déjà  cette difficulté à propos de l’efficacité des modes d’enseignement à distance, en indiquant (i) que l’estimation de l’efficacité est fonction de celui qui la mesure, (ii) mais aussi que cette efficacité peut être très large et que très souvent on fait le choix de circonscrire son estimation par commodité de mesure, (iii) et qu’enfin tout dispositif a un objectif qui lui est assigné et qui doit être atteint.

2.1. Définition


L’ « efficacité institutionnelle » d’un dispositif est l’efficacité qui intéresse le concepteur, le décideur politique ou le maître d’ouvrage d’un dispositif donné, dans le but d’atteindre un objectif donné, décidé par lui. Son évaluation suppose d’examiner dans quelle mesure les objectifs d’un dispositif, construit par ou pour une institution, sont atteints. Cette « efficacité » ne considère que « l’effet » du dispositif sur l’atteinte des objectifs et ne tient, par conséquent, pas compte du rôle de l’usager sur ces derniers. Nous nous appuyons sur la définition des économistes de l’éducation afin de l’estimer. En effet, en économie de l’éducation, Chomienne (1999) explique qu’ « estimer l’efficacité » signifie examiner dans quelle mesure les objectifs prévus par un « processus[2]  » sont atteints. L’efficacité d’un dispositif est ainsi fonction de l’objectif recherché par la mise en place de ce dispositif par l’institution.

Le concept d’efficacité institutionnelle appartient au champ de recherche dit de la « qualité de l’enseignement supérieur » ainsi que celui de l’évaluation des politiques publiques dans l’enseignement supérieur.

2. 2. La mesure de l’efficacité institutionnelle


L’efficacité institutionnelle réunit cinq indicateurs : l’efficacité interne, l’efficacité externe, l’équité, l’efficience et la qualité.

2.2.1. L’efficacité interne


L’efficacité interne, premier indicateur de l’efficacité institutionnelle, permet de mesurer l’effet d’une méthode, d’un mode d’enseignement, d’un outil sur les résultats scolaires ou universitaires des « apprenants ». Lorsqu’il s’agit de mesurer l’efficacité interne, on fait ainsi le choix de l’estimation de l’efficacité pédagogique mesurée par des résultats à des tests de connaissances (Eicher, 1983). Deux méthodes sont ainsi privilégiées :

  • dans la première, on construit un test qui permet de mesurer les compétences avant et après l’utilisation d’un dispositif ;

  • dans la seconde, pour deux dispositifs distincts, on compare les taux de réussite, d’échec ou d’abandon. On dira que l’un des dispositifs est plus efficace que l’autre si les taux de réussite sont plus importants. En effet, évaluer l’efficacité de tel ou tel système d’enseignement suppose la comparaison avec des modes d’enseignements de référence afin d’estimer lequel d’entre eux est le plus efficient notamment en termes d’ « efficacité pédagogique » et de coût (Orivel et Orivel, 1999).


2.2.2. L’efficacité externe


L’efficacité externe s’intéresse à l’influence de l’éducation reçue par les individus après qu’ils sont sortis des écoles et établissements de formation pour mener à bien leur vie d’adulte au sein de la société (Mingat et Suchaut, 2000). Ces effets peuvent être estimés en termes économique et social de manière individuelle et collective (ibid.).

On mesure ainsi l’effet sur la productivité, puis sur le revenu, en tentant d’estimer comment une année supplémentaire d’études, le prolongement d’un cycle supérieur ou le suivi d’une formation va avoir un impact sur l’accroissement de productivité ou de revenu de l’individu. Chomienne (1999) précise que dans le cas d’une formation continue, on peut aussi mesurer les effets de la formation sur la promotion. L’auteur propose, dans le cas d’une formation en cours d’emploi, un certain nombre d’outils méthodologiques qui permettent de mesurer les effets en termes de revenus, de productivité ou de promotion. Ainsi, les effets sur la productivité ou sur l’accroissement du revenu peuvent être mesurés en posant la question à celui qui a suivi la formation et/ou à son supérieur hiérarchique. Quant à la mesure de la promotion professionnelle, il s’agit de savoir comment se déploie la promotion interne et même externe suite à la préparation d’un diplôme supplémentaire. La méthodologie recommandée par l’auteur est le suivi des candidats. L’auteur rappelle cependant que l’estimation de l’efficacité externe ne s’arrête pas à la mesure du revenu, de la productivité ou de la promotion professionnelle, et que d’autres indicateurs pourraient être utilisés.

2.2.3. L’équité


L’équité en éducation et en enseignement supérieur en particulier est un facteur essentiel de l’estimation de sa qualité. Plus généralement, les pouvoirs publics se doivent de permettre l’accès à l’éducation à tous, qui est un droit fondamental. Les citoyens doivent avoir accès à l’éducation en enseignement supérieur dès lors qu’ils le désirent et qu’ils ont les capacités intellectuelles et les moyens notamment financiers de le faire (Eicher, 1999). Lemennicier et Lévy-Garboua (1979) rappellent que l’équité est un jugement de valeur, et que la définition de cette notion varie en fonction du groupe que l’on souhaite « favoriser ». Ainsi, certains sont plus sensibles que d’autres au sort de certaines catégories de populations et en particulier aux plus favorisées et aux plus défavorisées, vis-à-vis de l’enseignement supérieur. Si l’on se reporte aux jugements les plus couramment exprimés, deux principes d’équité émergent : le critère de Rawls (1971) appelé aussi maximin et le critère élitiste maximax (Lemennicier et Lévy-Garboua, 1979 ; Eicher, 1999). Les deux critères consistent à maximiser le bien-être d’une catégorie extrême sans s’intéresser aux autres. Le critère de maximax consisterait à favoriser les plus compétents, c’est-à-dire « les plus doués pour les études », alors que le critère de maximin consisterait à favoriser « les étudiants issus de familles modestes » (Lemennicier et Lévy-Garboua, 1979, 359). Dans les universités françaises, les deux critères sont présents. On retrouve le critère maximin appliqué pour les bourses sur critères sociaux qui sont accordées aux étudiants d’origine modeste durant le premier et second cycle, alors que l’on retrouve le critère maximax pour les bourses doctorales, qui sont accordées en grande partie sur critères académiques. Eicher (1999) explicite le concept de maximin de Rawls (1971) dans l’accès à l’éducation contemporain. La littérature en économie de l’éducation distingue trois approches complémentaires à partir desquelles on pourrait analyser de manière pertinente l’équité en éducation (Mingat, 1987) :

  • la première approche suppose que l’éducation est considérée comme un bien en soi, sans spécifier sa nature ni sa valeur. L’accent est mis sur l’accès à des niveaux ou des types de formations spécifiques. L’équité est analysée en utilisant des indicateurs tels que le taux (ou l’indice) relatif d’accès, de passage et de succès parmi divers groupes de la population, classés par sexes, région, ethnie, statut socio-économique des parents… par rapport à une population de référence. Si l’on étudie l’équité d’une offre d’enseignement à distance, la population de référence sera prise dans l’enseignement présentiel (Orivel et Orivel, 1999) ;

  • la seconde approche suppose que l’éducation confère une valeur aux individus éduqués. Cette valeur se matérialise pendant et après la scolarisation. Durant la période de scolarisation, la valeur prend la forme de ressources publiques allouées aux individus qui fréquentent le système scolaire, alors qu’après la formation, cette valeur se traduit par des revenus plus élevés et une mobilité sociale ascendante ;

  • la troisième approche trouve son point de départ dans le questionnement suivant : à qui profite l’éducation? Et qui finance cette dernière ? Afin de répondre à ces questions, on peut utiliser soit une estimation transversale, soit une estimation longitudinale. Dans le premier cas, on cherche à comparer les contributions de divers groupes de la population au budget public de l’éducation et en observant la part de ce budget qu’ils s’approprient grâce à l’éducation que leurs enfants reçoivent. Dans le second cas, on va comparer ce qu’une personne reçoit par le biais des dépenses publiques d’éducation par rapport à ce qu’elle donne durant toute sa vie.


Sur les trois approches de l’équité recensées, Mingat (1987) ne retient que la première, estimant que sa mesure est la plus réalisable. Pour lui, les deux autres approches, notamment l’analyse de l’impact de l’éducation sur la distribution des revenus, supposent des données issues d’enquêtes lourdes et souvent impossibles à réunir lors d’un travail de secteur.

2.2.4. L’efficience


Afin d’étudier l’efficience d’au moins un dispositif, il faut pouvoir évaluer les coûts unitaires et l’efficacité interne (en termes de taux de réussite) de ce dernier. Cette analyse permet de comparer les résultats obtenus avec différentes combinaisons d’inputs et permet ainsi de déterminer la combinaison la moins coûteuse pour obtenir un niveau donné de résultats et d’efficacité ou de déterminer le niveau de performances ou d’efficacité le plus élevé qui peut être obtenu avec un budget donné (Psacharopoulos et Woodhall, 1988). Il s’agit de faire un bilan précis des sacrifices et des avantages impliqués par des décisions alternatives afin de permettre de choisir l’option dont l’avantage net est le plus important (Eicher, 1980). L’analyse coût-efficacité consiste donc dans le cas qui nous intéresse à faire le choix du dispositif qui sera au final le plus avantageux pour l’institution (locale ou nationale), le plus coût-efficace. Cette analyse se fait après avoir mesuré les coûts unitaires et avoir analysé l’efficacité interne des différents dispositifs.

2.2.5. La qualité des enseignements et des formations


Campanale et Raîche (2008) reprennent un certain nombre de travaux essentiellement québécois sur l’évaluation des enseignements et rappellent que le mode d’évaluation de ces derniers « se limite, sous l’influence des travaux et des pratiques anglo-saxonnes, à l’évaluation par les étudiants de la prestation professionnelle de l’enseignant ». Bernard (1991) identifie cinq variables pouvant influencer la qualité d’un enseignement : les caractéristiques des cours, l’expérience de l’enseignant en enseignement, l’intérêt des étudiants pour la matière enseignée, la taille du groupe d’étudiants, la façon dont sont construits, « un peu au hasard » selon l’auteur, l’instrument d’évaluation et son utilisation. Les auteurs rappellent que Poissant (1995) insiste sur l’importance du regard de l’enseignant dans cette évaluation. L’enseignant évalué doit lui aussi avoir droit à l’expression au travers d’un questionnaire qui lui permette de décrire sa façon d’enseigner et le contexte de son enseignement. Pour que cette « évaluation » de l’enseignant soit juste, il faut, selon Poissant (1996) cité par Campanale et Raîche (2008), aussi passer par « l’appréciation par les pairs ». Les collègues doivent pouvoir apprécier la qualité du plan de cours et des examens, et l’observation de la classe par des collègues neutres combinée aux évaluations de l’enseignement par les étudiants fournit une image complète, et par conséquent plus équitable, de la performance du professeur. Poissant (ibid) expliquait déjà que les universités devraient accorder la priorité à l’aspect formatif de l’évaluation  (Gangloff et al., 2010).

Le concept d’efficacité dite institutionnelle se révèle être d’une importance significative car il permet de donner une vision « objective » de l’efficacité d’un dispositif. Il est cependant insuffisant, voire incomplet, dès lors que l’on mesure l’efficacité d’un dispositif pédagogique qui suppose, comme nous l’avons vu plus haut, une ingérence de l’usager. Une approche nouvelle, intégrant l’usager, me semble, dans certains cas, plus adaptée. La section qui va suivre, s’intéresse donc, à l’efficacité individuelle du dispositif ainsi qu’au modèle d’optimisation d’efficacité individuelle d’un dispositif.

3. L’efficacité individuelle et le modèle d’optimisation de l’efficacité individuelle d’un type de dispositif spécifique,  les dispositifs universitaires d’aide à la réussite


3.1. L’efficacité individuelle


Le concept de l’efficacité individuelle appartient au champ de recherche de l’étude des facteurs de réussite (exclusivement académique) et se situe empiriquement sur le terrain de l’enseignement supérieur en général et de l’université en particulier. L’efficacité individuelle d’un dispositif suppose de mettre l’usager au centre du dispositif.

L’efficacité individuelle, telle qu’elle est entendue ici, correspond à l’atteinte des objectifs de l’étudiant et non de l’institution et au fait qu’elle est mesurée de manière individuelle. L’hypothèse sous-jacente est qu’un même dispositif peut être efficace pour certains mais pas pour d’autres. Nous sommes donc face à une inégalité de l’efficacité du dispositif. Chaque étudiant/usager en fonction de l’information dont il dispose sur un dispositif donné, des stratégies d’apprentissage qu’il a construites, de l’utilisation optimale du dispositif et des potentialités estimées (par l’étudiant) du dispositif donné atteindra ou non son ou ses objectifs. L’efficacité serait donc fonction de l’usager, et fonction d’un certain nombre de facteurs. Ce modèle est basé sur plusieurs champs disciplinaires différents.

Deux champs de recherches sont issus des sciences économiques, plus précisément de l’économie de l’éducation et de l’économie informationnelle. Le premier stipule qu’en cas d’incertitude les choix effectués par les agents ne sont pas optimaux, et que l’étudiant est un « entrepreneur » qui fait des choix rationnels et qui cherche à maximiser ses avantages (en termes de gains) sous la contrainte de coûts (et notamment de coûts d’opportunité estimés en temps). Le second est issu des théories portant sur l’efficacité des technologies de l’information et de la communication qui questionnent le rôle du média dans l’amélioration des résultats des usagers. Un troisième domaine, davantage issu des sciences de l’éducation, s’inscrit dans le champ de recherches des facteurs de réussite dans l’enseignement supérieur, et est centré sur le rôle de l’engagement de l’étudiant dans sa réussite. Un dernier est issu des sciences de l’information et de la communication et s’intéresse à la notion de dispositif en explicitant le passage des dispositifs « impersonnels, extérieurs et objectifs » aux dispositifs « subjectifs, conscients et volontaires » (Linard, 2002) dans le cas notamment du dispositif pédagogique numérique. A partir de ces champs théoriques et de nos recherches sur le terrain, nous proposons un modèle intitulé « optimisation de l’efficacité individuelle d’un dispositif » qui remet au centre l’usager en tant qu’acteur de l’efficacité du dispositif.

Notre proposition se centre sur l’évaluation de l’efficacité des dispositifs universitaires d’aide à la réussite (Ben Abid-Zarrouk et Weisser, 2013) : le concept d’efficacité individuelle est ici particulièrement pertinent dans la mesure où ces dispositifs ont pour objectif institutionnel de tenir compte de la subjectivité de chaque étudiant, à travers le tutorat notamment.

Nous nous fondons sur les hypothèses suivantes :

  • Les étudiants établissent des stratégies d’apprentissage qui ont pour but de les faire réussir.


Cette première hypothèse est fondée sur l’hypothèse de rationalité de l’étudiant développée par Schultz qui considère l’étudiant comme un entrepreneur qui fait le choix d’investir dans l’éducation dans le but d’en retirer un profit sous forme de supplément de salaire. L’étudiant fait ce choix en pesant strictement les avantages (bénéfices escomptés) et les inconvénients (coûts de l’investissement). Ainsi, dès lors que l’étudiant s’inscrit à l’université, il établit des stratégies, notamment d’apprentissage, qui vont lui permettre d’atteindre ses objectifs à court et long terme. A court terme, l’étudiant vise la réussite et à long terme il vise un supplément de salaire voire un emploi (en situation de récession économique : Bourdon, 1999) dans le cas attendu de son investissement en éducation. Dans le court terme, l’étudiant vise donc, sous l’hypothèse de rationalité à réussir[3]. Il devrait sous cette hypothèse établir des stratégies d’apprentissage allant dans ce sens.

  • Le dispositif est conçu par l’institution de manière à ce que l’usager atteigne ses objectifs.


Les objectifs de l’institution et ceux de l’étudiant sont corrélés mais pas confondus. L’institution universitaire commande ou développe des dispositifs qui permettent une amélioration des taux de réussite, une équité accrue, l’établissement de liens étroits entre le marché de l’emploi et les formations universitaires ainsi qu’une recherche accrue, ces dernières années, d’une efficience des établissements universitaires. Les objectifs de l’étudiant sont l’obtention du diplôme à court terme et son insertion professionnelle à long terme. Les dispositifs proposés par l’institution doivent permettre l’atteinte de ces derniers.

  • Les dispositifs mis à la disposition des étudiants pour atteindre leurs objectifs ne sont efficaces que dès lors qu’ils les utilisent de manière optimale.


Le dispositif proposé permet l’atteinte des objectifs si et seulement si l’étudiant en dispose  au minimum tel qu’il a été défini par le concepteur.  En effet,  Paquelin (2009) explique qu’il existe « des différentiels » dans l’utilisation des dispositifs éducatifs. Nous complétons cette analyse, par l’idée  que certains usagers utiliseraient tout le potentiel du dispositif de manière à atteindre leur but, alors que d’autres non (Ben Abid-Zarrouk, 2012, Ben Abid-Zarrouk et Weisser, 2013).

  • L’efficacité individuelle du dispositif est corrélée à la satisfaction de l’étudiant.


La satisfaction de l’étudiant sera d’autant plus prononcée qu’il  sera convaincu que le dispositif peut lui permettre d’atteindre ses objectifs.

  • Le dispositif est proposé aux étudiants, ils ne sont pas dans l’obligation de le choisir.


Les étudiants font le choix d’utiliser ou non le dispositif d’aide à la réussite (par ex. un dispositif de tutorat méthodologique). S’ils sont dans l’obligation de l’utiliser, le modèle d’optimisation de l’efficacité individuelle n’a pas lieu d’être.

  • L’absence d’informations ou une information partielle sur un dispositif a pour effet sa non-utilisation ou une utilisation sous optimale.

  • Un dispositif n’est efficace individuellement que si et seulement si l’étudiant est informé des potentialités offertes en termes d’objectifs et qu’il l’utilise.


L’information est imparfaite. Une surabondance informationnelle et les capacités attentionnelles limitées des individus en général ne leur permettent pas de cerner les informations utiles à leur réussite. De plus, dans un cas d’incertitude, les étudiants ne sont pas ou peu informés des bénéfices attendus de l’utilisation des services facultatifs offerts. Le coût d’opportunité lié à l’utilisation du dispositif serait plus élevé que le bénéfice attendu de son utilisation. Dans le doute, ils s’abstiennent. Enfin, l’inégalité face à l’information. Certains étudiants auraient l’information sur les potentialités du dispositif et d’autres non.

3.2. Le modèle d’optimisation de l’efficacité individuelle pour les dispositifs d’aide à la réussite


Le modèle que nous proposons pour mesurer l’efficacité individuelle de ces dispositifs pédagogiques spécifiques est donc le suivant :

EiDj=f(IiPDj, SAREi, UOiDj, PDj)




  • où EiDj est l’efficacité du dispositif j pour l’étudiant i,

  • IiPDj est l’information détenue par l’étudiant i et portant sur les potentialités du dispositif j,

  • SAREi représente les stratégies d’apprentissage de l’étudiant i basé sur la réussite,

  • UiODj représente l’utilisation optimale (c’est-à-dire conduite vers la réussite) du dispositif j par l’étudiant i

  • et enfin PDj les potentialités présumées du dispositif j.


On en conclut donc que l’absence d’informations ou une information partielle des potentialités d’un dispositif donné est un facteur de son inefficacité. Ce modèle peut être estimé[4] :

  • à partir d’une régression linéaire qui prend la forme : Y= a0 + a1.x1 + a2.x2 + a3.x3 + a4.x4+ε, où Y est une variable numérique qui est la moyenne obtenue sur un semestre ou sur une année  (dans le cas de l’estimation de l’influence du dispositif sur les notes obtenues aux examens) ;

    • à partir d’une régression logistique où Y est la variable dépendante Y (Efficacité) qui  prend la forme binaire : atteinte des objectifs (1), non atteinte des objectifs (0).




Ainsi, la probabilité a posteriori qu’a un individu i que le dispositif soit efficace pour lui, sachant les valeurs prises par les variables explicatives X(i) est : P[E.D(i) = 1/X(i)] = π(i) et le Logit[5] d’un individu est :

Ln = [π(i)/1- π(i)] = a0 + a1.x1 + a2.x2 + a3.x3 + a4.x4 où les variables explicatives sont :

  • x1: information (variable indépendante). Elle prend la forme d’une variable binaire : être informé des potentialités du dispositif (variable active) / ne pas être informé des potentialités du dispositif (variable de référence) ;

  • x2 : stratégies d’apprentissage basées sur la réussite des étudiants (variable indépendante). Prend la forme d’une variable binaire : être engagé (variable active) / ne pas être engagé (variable de référence). Cette variable peut être estimée à partir d’indicateurs quantitatifs (le nombre d’heures consacrées au travail studieux stricto sensu) et qualitatifs (stratégies d’apprentissage efficaces : travail entre pairs, conseils auprès des enseignants, utilisation d’outils mis à disposition pour un meilleur apprentissage (BU, forums virtuels, cours en ligne…) ;

  • x3 : utilisation optimale du dispositif (variable indépendante).  Elle prend la forme d’une variable binaire : utilisation optimale du dispositif (variable active) / utilisation non optimale du dispositif (variable de référence). Cette variable est estimée à partir d’indicateurs évaluant l’utilisation du dispositif d’une manière quantitative (régularité d’utilisation du dispositif) et de manière qualitative (utilisation de tous les aspects du dispositif permettant un apprentissage efficace ; dans le cas d’un enseignement en ligne : utilisation des forums d’échanges disciplinaires, échanges d’emails avec les enseignants, téléchargement de cours, renvois réguliers des devoirs…).

  • x4 : potentialité du dispositif (variable indépendante). Elle prend la forme d’une variable binaire : le dispositif est construit de manière à permettre l’atteinte des objectifs des étudiants (variable active) / le dispositif n’est pas construit de manière à permettre l’atteinte des objectifs des étudiants (variable de référence). Cette variable est estimée à partir d’indicateurs qualitatifs qui mesurent la satisfaction de l’étudiant quant au dispositif proposé.


Conclusion


L’estimation de l’efficacité en économie de l’éducation consiste traditionnellement en l’estimation de l’efficacité interne, externe, l’équité ou encore l’efficience d’un dispositif donné. Si on s’intéresse de près  à la notion de dispositif et à son évolution, on s’aperçoit que cette pratique de l’estimation de l’efficacité, jusqu’à présent, ne tient pas compte du rôle de l’usager dans l’atteinte des objectifs. De plus cette estimation est efffectué du point de vue de l’institution (université, pouvoirs publics…) et non du point de vue de l’usager. Cette réflexion, alliée aux recherches sur l’efficacité des dispositifs d’aide à la réussite, on conduit à la construction du modèle d’ « optimisation de l’efficacité individuelle d’un dispositif ». Un modèle où des facteurs impliquant l’usager seraient au centre de l’évaluation de l’efficacité du dispositif. L’estimation de l’efficacité institutionnelle bien qu’incomplète reste cependant utile afin d’estimer « objectivement » le rôle du dispositif pour un objectif donné. Ces deux estimations de l’efficacité sont ainsi complémentaires.

Références bibliographiques


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[1] Dans Carré et al. (1997).




[2] Un ensemble d’activités corrélées ou interactives qui transforme des éléments d’entrée en éléments de sortie (ISO 9000-3.4.1).




[3] La réussite est ici définie comme le succès aux examens ou l’obtention du diplôme.




[4] Une enquête auprès d’usagers (ex. du tutorat méthodologique) permettrait d’obtenir des données et de tester empiriquement le modèle.




[5] La construction des modèles et de l’analyse multi-variée permet d’identifier toutes choses égales par ailleurs la corrélation entre une variable expliquée et plusieurs variables explicatives. De plus, la modélisation permet la construction d’un profil « type » pour une variable expliquée donnée. Une analyse par la modélisation est définie comme étant une transformation qui remplace un ensemble d’observations effectives par une formulation mathématique abstraite qui en retrace les caractéristiques ou lignes de forces principales. Les modèles de type Logit (dits aussi régression logistique) sont généralement utilisés lorsque la variable à expliquer est une variable binaire (0, 1) ou dichotomique et qui porte sur la probabilité qu'un événement se réalise ou non.


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